Monographies CIRC Aspartame et cancer

Aspartame et cancer : quelles conclusions et conséquences sur les recommandations de santé publique ?

Aspartame et cancer : découvrez les nouvelles données et recommandations à connaitre, suite à la publication de la conclusion de la Monographie « Aspartame, méthyleugénol, et isoeugénol » (Volume n°134), du CIRC.

Contexte

Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC ou IARC en anglais), est l’agence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) spécialisée dans le cancer. Il promeut et réalise des recherches au niveau international sur le cancer, en réunissant des compétences de laboratoire, d’épidémiologie et de biostatistiques, et coordonne des expertises collectives, les « Monographies », sur de potentiels facteurs de risque de cancer. En œuvrant pour une meilleure compréhension des causes du cancer, le CIRC alimente les recommandations de santé publique au niveau international.

Avec l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l’OMS administre également le Comité d'experts FAO/OMS sur les additifs alimentaires (JECFA). Là aussi, il s’agit d’une structure internationale, regroupant des experts scientifiques menant des évaluations de la sécurité sanitaire des additifs alimentaires.

L’étude du potentiel cancérogène de l’aspartame a été classée comme prioritaire par le programme 2020-2024 du CIRC et du JECFA. En Juin 2023, les deux organismes ont ainsi réuni des comités d’experts internationaux pour examiner de manière indépendante mais complémentaire, l’ensemble de la littérature scientifique disponible pour conclure respectivement sur le danger cancérogène et sur le risque d’augmentation de cancer et d’autres pathologies, selon les niveaux actuels de consommation et d’exposition alimentaire à l’aspartame.

L’aspartame

L’aspartame est un édulcorant et un exhausteur de goût découvert en 1965. Il prend la forme d’une poudre blanche inodore, avec un pouvoir sucrant 200 fois supérieur à celui du saccharose (sucre de table). Il est, pour ces raisons, très utilisé dans l’alimentation pour obtenir des produits à faible teneur en calories, mais aussi en pharmaceutique et dans les cosmétiques.

En France, l’aspartame est principalement retrouvé dans les boissons à faible teneur en calories, mais également dans les produits laitiers, les glaces, les confitures, les conserves, les confiseries, etc. avec une concentration entre 0,1 g/l ou kg et 6 g/l ou kg [1], en fonction des produits. Dans certaines sucrettes, l’EFSA a relevé jusqu’à 500 000 mg/l ou kg d’aspartame dans un rapport datant de 2013 [2]. Depuis sa mise sur le marché en 1980, le produit a suscité de nombreux travaux de recherche afin de mieux connaitre son impact sur la santé humaine.

Dans cette nouvelle monographie, l’aspartame a été classifié comme « cancérigène possible pour l’homme » (correspondant au Groupe 2B de classification du CIRC).

En savoir plus sur le travail scientifique

Chez l’Homme 

Trois études de bonne qualité, regroupant 4 cohortes (1 européenne [3] et 3 américaines [4, 5]) font état d’une augmentation du risque de cancer du foie (incidence ou mortalité) associée à la consommation de boissons édulcorées. Dans ces études, la consommation de boissons édulcorées a été estimée représentative de la consommation d’aspartame pour les pays et périodes considérés (usage prédominant de l’aspartame comme édulcorant dans les boissons et prédominance des boissons édulcorées comme source d’aspartame).

Une étude française [6], basée sur la cohorte NutriNet-Santé incluant plus de 100 000 adultes, est la seule à avoir estimé spécifiquement l’exposition alimentaire à l’aspartame (ainsi qu’à d’autres édulcorants), à partir de toutes les sources alimentaires possibles, pas seulement les boissons édulcorées. Elle incluait des données très détaillées, comme la collecte des marques des produits, et répétées. Cette étude a observé une association entre l’exposition à l’aspartame et l’augmentation du risque global de cancer, et en particulier de cancer du sein et de cancers liés à l’obésité. Ces associations n’ont pas été observées dans les quelques autres études disponibles sur ces localisations de cancer, basées sur des évaluations moins précises de l’apport en aspartame. Le cancer du foie n’a pas été investigué spécifiquement dans cette étude faute de puissance statistique (nombre de cas limité à ce jour).

Une association positive a donc été établie entre l’exposition à l’aspartame et la survenue de cancers. Toutefois il n’est pas possible d’exclure avec suffisamment de certitude tout risque de biais ou de facteurs de confusion et des recherches additionnelles sont nécessaires pour consolider les preuves [7]. Selon les termes réservés dans le protocole du CIRC, le niveau de preuve a donc été qualifié de « limité » pour le cancer du foie et « inadéquat » pour les autres types de cancer à ce jour. Les experts encouragent donc :

  • La poursuite de travaux de recherche via, d’une part, la poursuite à plus long terme du suivi dans les cohortes en cours, et d’autre part, l’augmentation du niveau de détail et de précision des données d’exposition collectées, sur le modèle de la cohorte française NutriNet-Santé par exemple ;
  • La conduite d’essais contrôlés randomisés de durée limitée et compatibles avec le respect de l’éthique et de la sécurité des participants, portant sur des paramètres métaboliques intermédiaires pouvant eux être associés à plus long terme avec le risque de cancer ou d’autres pathologies.

Chez l’animal

Plusieurs travaux portant sur différentes espèces animales (souris, rat, chien et hamster) ont été réalisés. Plusieurs études ont rapporté des effets délétères de l’exposition orale à l’aspartame (augmentation du risque de cancer du foie, des poumons, des reins, des mamelles, du sang [8, 9, 10, 11]), alors que d’autres n’ont pas démontré d’effet [12]. Du fait de limites méthodologiques dans ces différentes études, le Comité d’experts a considéré ces preuves comme « limitées »

Mécanismes d’action

Des pistes de mécanismes d’action ont été mises en évidence concernant l’impact de la consommation de l’aspartame sur l’organisme : augmentation du taux d’insuline dans le sang, induction d’inflammation chronique, de stress oxydatif ou de génotoxicité [7]. Un impact sur le microbiote intestinal a également été suggéré [13]. Toutefois, le Comité d’experts relève un manque important de connaissances à ce propos (niveau de preuve jugé « limité ») et encourage donc la poursuite des travaux de recherche, à la fois expérimentaux, épidémiologiques et mécanistiques, afin d’élucider ces mécanismes. 

Doses

Le JECFA n’a pas jugé que les preuves scientifiques disponibles à l’heure actuelle permettaient de modifier les Doses Journalières Admissibles (DJA), qu’ils ont fixées à 40 mg/kg de poids corporel par jour.

D’après le JECFA, en ne supposant aucun autre apport en aspartame provenant d’autres sources alimentaires, cela correspond à environ 9 à 14 canettes par jour dosées à 200-300 mg pour un adulte de 70kg.

A noter que dans toutes les études épidémiologiques citées ci-dessus ayant observé une augmentation de risque de cancer, la consommation d’aspartame ou de boissons édulcorées était bien en-deçà de cette limite, jusqu’à 40 fois moins dans l’étude NutriNet-Santé par exemple.

Conclusion

L’aspartame a donc été reconnu comme cancérigène possible par le CIRC.

Par ailleurs, des résultats suggèrent de potentiels effets indésirables de l’aspartame sur le risque de diabète de type 2 [14], de maladies cardiovasculaires [15] et cérébro-vasculaires [15]. Toutefois, les preuves dans ces domaines sont encore très limitées. Dans l’étude NutriNet-Santé, des associations entre d’autres édulcorants (acésulfame-K) et le risque de pathologies (cancers, diabète) ont été observées. Mais là encore, ces résultats restent à confirmer par de nouveaux travaux. Au global, il reste nécessaire de poursuivre les études (épidémiologiques, expérimentales, toxicologiques) pour préciser les effets de l’aspartame et des autres édulcorants sur la santé, ainsi que les mécanismes sous-jacents.

Rappelons qu’en mai 2023, l’OMS a publié des lignes directrices sur les édulcorants en recommandant de ne pas les utiliser dans une optique de contrôle du poids ou de réduction du risque de maladies non transmissibles, concluant à leur inutilité dans ce cadre [16]. L’OMS y recommande également, dès le plus jeune âge, de réduire le goût sucré de l’alimentation, ce qui inclut les édulcorants qui entretiennent l’appétence pour le goût sucré.

Alignée avec cela, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) estime qu’il n’existe pas d’élément probant permettant d’encourager, dans le cadre d’une politique de santé publique, la substitution des sucres par des édulcorants intenses et recommande que les boissons édulcorées et les boissons sucrées ne se substituent pas à la consommation d’eau.

Références

[1] Règlement (CE) n°1333/2008 du parlement européen et du conseil, 16/12/2008, sur les additifs alimentaires, JO L 354 du 31.12.2008, p. 16.

[2] EFSA ANS Panel (EFSA Panel on Food Additives and Nutrient Sources added to Food), 2013. Scientific Opinion on the re-evaluation of aspartame (E 951) as a food additive. EFSA Journal 2013; 11(12):3496, 263 pp. <efsa.onlinelibrary.wiley.com>(Consulté le 21.07.2023)

[3] Stepien M et al. Consumption of soft drinks and juices and risk of liver and biliary tract cancers in a European cohort. Eur J Nutr. 2016 Feb;55(1):7-20.

[4] Jones GS et al. Sweetened beverage consumption and risk of liver cancer by diabetes status: A pooled analysis. Cancer Epidemiol. 2022 Aug;79:102201.

[5] McCullough ML et al. Sugar- and Artificially-Sweetened Beverages and Cancer Mortality in a Large U.S. Prospective Cohort. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2022 Oct 4;31(10):1907-18.

[6] Debras C et al. Artificial sweeteners and cancer risk: Results from the NutriNet-Santé population-based cohort study. PLoS Med. 2022 Mar 24;19(3):e1003950.

[7] Riboli E et al. Carcinogenicity of aspartame, methyleugenol, and isoeugenol. Lancet Oncol. 2023 Jul 13:S1470-2045(23)00341-8.

[8] Soffritti M, Belpoggi F, Manservigi M, et al. Aspartame administered in feed, beginning prenatally through life span, induces cancers of the liver and lung in male Swiss mice. Am J Ind Med 2010; 53: 1197–206.

[9] Soffritti M, Belpoggi F, Tibaldi E, et al. Life-span exposure to low doses of aspartame beginning during prenatal life increases cancer effects in rats. Environ Health Perspect 2007; 115: 1293–97.

[10] Gnudi F, Panzacchi S, Tibaldi E, Iuliani M, Sgargi D, Bua L, Mandrioli D. Hemolymphoreticular neoplasias from the Ramazzini Institute long-term mice and rat studies on aspartame. Ann Glob Health 2023; 89: 43.

[11] Soffritti M, Belpoggi F, Degli Esposti D, et al. First experimental demonstration of the multipotential carcinogenic effects of aspartame administered in the feed to Sprague-Dawley rats. Environ Health Perspect 2006; 114: 379–85.

[12] National Toxicology Program. NTP report on the toxicology studies of aspartame (CAS No. 22839-47-0) in genetically modified (FVB Tg.AC hemizygous) and B6.129- Cdkn2atm1Rdp (N2) deficient mice and carcinogenicity studies of aspartame in genetically modified [B6.129-Trp53tm1Brd (N5) haploinsufficient] mice (feed studies). Natl Toxicol Program Genet Modif Model Rep 2005 1: 1–222.

[13] Suez J et al. Personalized microbiome-driven effects of non-nutritive sweeteners on human glucose tolerance. Cell. 2022 Sep 1;185(18):3307-3328.e19.

[14] Debras C et al. Artificial sweeteners and risk of type 2 diabetes in the prospective NutriNet-Santé cohort. Diabetes Care 2023, (In Press)

[15] Debras C et al. Artificial sweeteners and risk of cardiovascular diseases: results from the prospective NutriNet-Santé cohort BMJ 2022; 378 :e071204

[16] Nations Unies, centre régional d’informations pour l’Europe Occidentale. Actualité "L’OMS déconseille l’utilisation d’édulcorants", mai 2023. Accessible sur : <unric.org>(Consulté le 21.07.2023)

Date de modification : 27 février 2024 | Date de création : 21 juillet 2023 | Rédaction : NACRe