Le rapport de 2018 du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) sur « Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine » a estimé qu’en France, chez les personnes âgées de 30 ans et plus, sur les 346 000 nouveaux cas de cancer de l’année 2015, 18 600 étaient attribuables au surpoids et à l’obésité (notamment 4 500 cancers du sein et 4 400 cancers colorectaux) soit 5,4 % des nouveaux cas de cancer (6,8 % chez les femmes et 4,2 % chez les hommes). La surcharge pondérale est ainsi le troisième facteur de risque évitable de cancer derrière le tabac et l’alcool [1].
Lien entre surpoids, obésité et cancer
Niveau de preuve scientifique
De nombreux rapports d’expertise scientifique internationaux et français ont établi un lien entre le surpoids et l’obésité et le risque de développer un cancer.
Dès 2002, un groupe d’experts du CIRC concluait « qu’éviter la prise de poids diminuait le risque de certains cancers ». Cette conclusion a été confirmée lors de la réévaluation de 2016, avec l’ajout de huit nouvelles localisations de cancers liées au surpoids et/ou à l’obésité [2,3].
En France, une expertise collective coordonnée par l’Institut National du Cancer (INCa) en 2015 a confirmé le résultat de ces évaluations, en concluant à une augmentation convaincante ou probable du risque de cancer pour plusieurs localisations, associée au surpoids et/ou à l’obésité [4].
Enfin, ces résultats sont concordants avec ceux du dernier rapport d’expertise scientifique du World Cancer Research Fund (WCRF) et l’American Institute for Cancer Research (AICR) publié en 2018. Ce rapport établit en effet un niveau de preuve convaincant ou probable pour l’augmentation du risque de cancer pour 15 localisations, associée au surpoids et/ou à l’obésité [5].
Facteurs nutritionnels et risque de prise de poids, surpoids et obésité
Dans le rapport d’expertise de 2018, le WCRF et l’AICR ont également évalué les facteurs qui contribuent au risque de surcharge pondérale : consommation de « fast food » et autres aliments transformés riches en matière grasse, en amidon ou sucre, et de boissons sucrées ; sédentarité et manque d’activité physique [5]. Ces facteurs sont à prendre en compte dès le plus jeune âge.
Focus sur les mécanismes
Plusieurs mécanismes peuvent expliquer l’augmentation du risque de cancers associée à la surcharge pondérale. Des mécanismes communs à différentes localisations de cancer ont été identifiés [3] :
- l’insulinorésistance, liée à l’excès de tissu adipeux, conduit à une augmentation de la sécrétion d’insuline par le pancréas. Une hyperinsulinémie chronique entraine une production de l’hormone de croissance insulin-like growth factor-1 (IGF-1) qui favorise la prolifération cellulaire ;
- un état inflammatoire chronique, induit par l’obésité, favorisant le stress oxydatif dont la peroxydation lipidique. Les produits de cette peroxydation peuvent induire des altérations de l’ADN ;
- les hormones stéroïdes (œstrogènes, androgènes et progestérone) peuvent également être impliquées dans le risque de cancer associé à l’obésité. Une enzyme du tissu adipeux, l’aromatase, convertit les androgènes en œstrogènes. Ces derniers stimulent la multiplication des cellules des tissus hormonodépendants (sein, endomètre, ovaire) même après la ménopause.
Recommandations
Afin de limiter les risques de surpoids et d’obésité, l’INCa conseille de [6] :
- pratiquer tous les jours au moins 30 minutes d'activité physique dynamique comme de la marche rapide, et limiter les activités sédentaires (ordinateur, télévision...)
- limiter les aliments à forte densité énergétique, trop riches en graisses et/ou en sucres, qu’il s’agisse de quantités consommées ou de fréquence de consommation
- privilégier les aliments à faible densité énergétique, comme les fruits et les légumes
- consommer des aliments contenant des fibres alimentaires
- adopter un régime alimentaire de type méditerranéen
- surveiller son poids de façon régulière, en se pesant au moins une fois par mois
En 2019, Santé publique France a publié les nouvelles recommandations nutritionnelles destinées à la population adulte française [7]. Elles ont pour objectif d’aider les adultes à faire de meilleurs choix alimentaires et à adopter un mode de vie plus actif, permettant notamment de prévenir le surpoids et/ou l’obésité. Ces recommandations sont concordantes avec celles de l’INCa.
Pour s’informer et se faire aider
Si vous êtes en situation de surpoids (IMC > 25 kg/m²) ou d’obésité (IMC > 30 kg/m²) ou si vous avez eu récemment une prise de poids rapide, parlez-en à un professionnel de santé. Ce dernier pourra vous accompagner et, si besoin, vous orienter vers une prise en charge adaptée : consultation de diététique, prescription d’activité physique adaptée…
En complément, plusieurs outils déployés par Santé publique France sont disponibles, facilitant la mise en pratique des recommandations nutritionnelles :
- le site mangerbouger.fr, avec notamment « La fabrique à menus », propose des idées de menus de saison variés pour manger équilibré toute la semaine en accord avec les repères nutritionnels.
- Le Nutri-Score, logo à 5 couleurs apposé sur la face avant des emballages, informe les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des produits. De « A » pour les produits les plus favorables sur le plan nutritionnel à « E » pour les produits les moins favorables.
La surcharge pondérale en France
La surcharge pondérale qui regroupe le surpoids et l’obésité est généralement estimée par l’indice de masse corporelle (IMC), indicateur calculé par le rapport poids (kg)/taille2 (m²).
Principales catégories d’IMC et correspondance en poids pour deux exemples de taille chez l’adulte entre 18 et 65 ans
Principales catégories d’IMC (kg/m²) | Poids (en kg) pour deux exemples de taille |
Poids insuffisant | IMC < 18,5 | 1,65 m | 1,75 m |
Poids normal | 18,5 ≤ IMC < 25 | 50 ≤ poids < 68 | 56 ≤ poids < 76 |
Surcharge pondérale | surpoids | 25 ≤ IMC < 30 | 68 ≤ poids < 81 | 76 ≤ poids < 91 |
obésité | IMC ≥ 30 | poids ≥ 81 | poids ≥ 91 |
L’adiposité abdominale (mesurée par le tour de taille ou par le rapport tour de taille/tour de hanches) est un autre indicateur utilisé pour caractériser la corpulence.
Adiposité abdominale et risque de complication métabolique (obésité, diabète de type 2, dyslipidémies, hypertension artérielle…), d’après l’Organisation mondiale de la santé [8]
Indicateurs | Seuils à risque pour l’adiposité abdominale | Risque de complication métabolique |
Tour de taille | > 94 cm (homme) > 80 cm (femme) | Accru |
> 102 cm (homme) > 88 cm (femme) | Considérablement accru |
Rapport tour de taille/tour de hanches | ≥ 1,0 (homme) ≥ 0,85 (femme) | Considérablement accru |
La compilation des données des neuf dernières éditions du Baromètre Santé de Santé publique France réalisées entre 1996 et 2017 [9] a permis de voir l’évolution de la corpulence déclarée (obésité et surpoids) des adultes en France. Il en ressort que la surcharge pondérale déclarée a globalement augmenté sur 21 ans. Des différences de tendances existent toutefois entre les hommes et les femmes, et en fonction de si l’on parle de surpoids, ou d’obésité :
- Chez les hommes, le taux de surcharge pondérale déclarée semble stable (entre 48 et 50%) depuis 2008, après une augmentation de 8 points depuis 1996. Le taux d’obésité déclarée chez les hommes, croissant entre 1996 et 2016 jusqu’à atteindre 15%, a diminué légèrement entre 2016 et 2017 pour atteindre 13% [9].
- Chez les femmes, les taux de surcharge pondérale et d’obésité déclarées ont une dynamique croissante depuis 1996 pour atteindre respectivement en 2017 39% (contre moins de 25% en 1996) et 14% (contre moins de 6% en 1996) [9].
Rappelons que ces pourcentages sont issus de données déclaratives, il convient donc de les interpréter avec prudence à cause des potentiels biais qui tendent à sous-estimer le niveau de corpulence.
La surcharge pondérale reste donc un problème de santé publique y compris à l’égard du risque de cancer.
Si on s’intéresse à l’enquête représentative Esteban de 2015 qui repose sur des données de poids et taille mesurées, près d’un adulte sur 2 est en surcharge pondérale, et 17 % sont en situation d’obésité. La prévalence du surpoids est plus élevée chez les hommes que chez les femmes alors que celle de l’obésité est sensiblement identique pour les deux sexes. Les prévalences du surpoids et de l’obésité augmentent fortement avec l’âge, avec une stabilisation à partir de 40 ans chez les femmes [10].
Surpoids et obésité : situation des adultes français de 18-74 ans
Source : Esteban 2015
Cette étude Esteban de 2015 a également relevé des différences socio-économiques et régionales. Dans cette étude, la prévalence de l’obésité est inversement proportionnelle au niveau d’étude : les personnes les moins diplômées sont plus fréquemment en situation d’obésité, avec un niveau d’obésité plus sévère [10]. De même, pour les femmes, les employées et les ouvrières présentent les prévalences les plus élevées et les cheffes d’entreprises et professions intermédiaires les plus faibles. Le Nord et l’Est de la France sont les régions où la prévalence de l’obésité est la plus élevée [11].
La politique française en matière de prévention et prise en charge du surpoids et de l’obésité
Depuis 2001, avec le lancement du Programme national nutrition santé (PNNS), la prévention du surpoids et de l’obésité est devenue en France une priorité nationale de santé publique. Ce programme pluriannuel a été prolongé en 2006, en 2011, puis récemment en 2019 avec le 4ème PNNS 2019-2023 [12].
En 2010, le Plan Obésité (PO) 2010-2013 est venu renforcer le PNNS en mettant l’accent sur les personnes atteintes d’obésité. Ce plan a été poursuivi avec le déploiement de la feuille de route « Prise en charge de l’obésité 2019-2022 » [13, 14].
Les études de suivi de l’évolution de la corpulence constituent des outils d’évaluation de l’efficacité des politiques publiques de lutte contre le surpoids et l’obésité. En ce sens, elles s’articulent également avec la Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 développée par l’INCa [15].
L’ensemble de ces programmes, visent à réduire l’obésité et le surpoids (stabiliser la prévalence de l’obésité chez l’adulte, la diminuer chez l’enfant – réduire le surpoids chez l’enfant et chez l’adulte) ; augmenter l’activité physique et diminuer la sédentarité à tous les âges ; améliorer les pratiques alimentaires et les apports nutritionnels, notamment chez les populations à risque.
Références
[1] Arnold M, Touillaud M, Dossus L, Freisling H, Bray F, Margaritis I, et al. (2018). Cancers in France in 2015 attributable to high body mass index. CancerEpidemiol. 52:15–9.
[2] IARC Handbooks of Cancer Prevention Volume 6: Weight and Physical Activity, 2002 <www.iarc.fr> (Consulté le 27.01.2020)
[3] IARC Handbooks of Cancer Prevention Volume 16: Absence of Excess Body Fatness, 2016. <www.iarc.fr> (Consulté le 27.01.2020)
[4] Institut National du Cancer. Nutrition et prévention primaire des cancers : actualisation des données. Boulogne-Billancourt : INCa ; 2015. Voir le rapport
[5] World Cancer Research Fund / American Institute for Cancer Research. Food, Nutrition, Physical Activity, and the Prevention of Cancer: a Global Perspective. Washington DC: AICR, 2018. Disponible sur : <www.wcrf.org> (Consulté le 27.01.2020).
[6] Institut National du Cancer. Dossier web « Surpoids et obésité ». Disponible sur : <e-cancer.fr> (consulté le 27.01.2020)
[7] Santé publique France. Recommandations relatives à l'alimentation, à l'activité physique et à la sédentarité pour les adultes. Janvier 2019. Disponible sur <www.santepubliquefrance.fr> (consulté le 27.01.2020)
[8] WHO. Obesity: Preventing and Managing the Global Epidemic. Report of a WHO Consultation on Obesity. Geneva, World Health Organization. 2000. Disponible sur : <www.who.int> (consulté le 27.01.2020)
[9] Salanave B, Verdot C, Escalon H, Gautier A, Deschamps V. Évolution de la corpulence déclarée dans les Baromètres de Santé publique France de 1996 à 2017. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(15):306-12. <http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2024/15/2024_15_1.html> (consulté le 10.09.2024)
[10] Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Esen). Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban), 2014-2016. Volet Nutrition. Chapitre Corpulence. Saint-Maurice : Santé publique France, 2017. 42 p. Disponible à partir de l’URL : <https://www.santepubliquefrance.fr/>
[11] Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3). Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective. Disponible sur <www.anses.fr> (consulté le 27.01.2020)
[12] Ministère des solidarités et de la santé. 4ème Programme national nutrition santé 2019-2023. Septembre 2019. Disponible sur <solidarites-sante.gouv.fr> (consulté le 27.01.2020)
[13] Ministère des solidarités et de la santé. Plan Obésité 2010-2013. Disponible sur <solidarites-sante.gouv.fr> (consulté le 27.01.2020)
[14] Ministère des solidarités et de la santé. Feuille de route « Prise en charge de l’obésité 2019-2022 ». Septembre 2019. Disponible sur <solidarites-sante.gouv.fr> (consulté le 27.01.2020)
[15] Institut National du Cancer. Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030. Disponible sur : <e-cancer.fr> (consulté le 11.09.2024)